Entretien avec Claudie Haigneré — 2ème partie

Épisode 2 : Rêver dans l’espace

Elle est la première femme française et européenne à être allée dans l’espace dès 1996. Nous avons l’honneur d’accueillir Claudie Haigneré, spationaute et ancienne Ministre de la Recherche, comme pilote navigatrice d’Amazonies Spatiales et figure tutélaire du projet.

Notre coordinateur artistique Lancelot Hamelin s’est entretenu avec elle sur son parcours, son expérience à l’espace, ainsi que son rapport à l’imaginaire. Après une première partie sur son enfance et ses premiers voyages spatiaux, nous vous présentons le second volet de notre interview-fleuve, cette fois-ci sur la thématique du rêve.

Encore merci à Lancelot Hamelin pour cet échange passionnant, ainsi qu’à Benjamin Perrin pour son travail d’édition sur le texte suivant.

Bonne lecture à vous !

[L’échange ci-dessous fait suite à la première partie de l’interview]

Lancelot Hamelin : Boire l’eau de la lune m’évoque à nouveau l’imaginaire, avec cette question du rêve et du phénomène onirique, qui est omniprésente dans la littérature SF. Alors je me demandais : de quoi, ou plutôt comment, rêve-t-on dans l’espace ?

Claudie Haigneré : Même sur Terre, le rêve humain reste un mystère. Encore aujourd’hui, on ne comprend ni sa fonction — si toutefois il en a une — ni son importance dans le cycle du sommeil. A-t-il un sens pour notre vie ? A-t-il quelque chose à nous enseigner ? Par le passé, on a émis l’hypothèse que le rêve est un système de simulation qui permettrait de se préparer à des expériences. Et dans ce sens, étudier les rêves des astronautes dans l’espace apporterait beaucoup à la réflexion. 

L.H : Quelle relation entretenez-vous avec votre vie onirique ? Considérez-vous que vos songes, vos rêves et vos cauchemars ont pu laisser une empreinte sur votre travail ?

C.H : C’est une question très intéressante. Avant mon premier vol, j’avais eu une conversation au téléphone avec Michel Jouvet, le grand neurophysiologiste [décédé en 2019] qui a inventé le concept de sommeil paradoxal. Il m’avait appelé pour me demander de noter le contenu de mes rêves quand je serais dans l’espace. C’est pour ça que je me souviens en détails de deux rêves lors de mon premier voyage spatial.

Déjà, il me semble important de préciser que l’apesanteur a eu un effet direct sur la nature de ma production onirique. Le premier dont je me souviens était au tout début de mon premier vol. J’avais rêvé que je me trouvais dans une immense station spatiale. Il faut dire que l’amarrage avec la station m’avait fait forte impression. Je me souviens que j’avais décrit cette expérience avec des mots empruntés à la science-fiction. Pour tout dire, j’avais l’impression d’être dans un film de ce registre. Quand les panneaux solaires fixes éclairent les machines, on a cette sensation étrange de faire partie d’un voyage extra-terrestre.

Je me souviens avoir regardé par le hublot dans le noir du cosmos et avoir été saisie par ce que j’avais vu. L’imagination n’est pas suffisante pour décrire mes impressions et émotions à ce moment précis. Je n’avais pas pu m’empêcher de m’exclamer : “Oh my God, it’s full of stars !”. J’étais submergée par ce spectacle dans lequel j’étais entré physiquement. Ce n’était pas un décor mais mon environnement. C’était à la fois inédit et impossible.

Quant à mon rêve, il représentait une station spatiale non seulement immense, mais en plus de ça, qui se déployait dans un volume considérable, irréel, infini… Quand on est en microgravité, on se déplace d’une paroi à l’autre en se poussant avec les mains et les pieds. C’est un jeu d’impulsions et de réactions. Sauf que dans cet immense volume paradoxal, il n’y avait pas de paroi pour se déplacer. J’étais donc perturbée, désorientée, perdue dans une perspective impossible qui me condamnait à l’immobilité. Je flottais sans pouvoir manœuvrer.

Je pense que ce premier rêve était lié à ma difficulté à maîtriser mes déplacements lors des premiers jours de voyage. Et dans le rêve, cela semblait se traduire par une dilatation de l’espace qui me mettait en situation de difficulté voire de danger. D’ailleurs, la sensation de vertige qui accompagne le regard jeté par le hublot a tout du rêve éveillé tant cela semble sortir du réel.

L.H : Je trouve ce rêve passionnant à bien des égards. Michel Jouvet avait justement une théorie sur l’utilisation de l’environnement comme matériau onirique. Il disait qu’en voyage, on mettait huit jours à intégrer les éléments de notre nouvel environnement dans nos rêves. Par exemple, les nouveaux détenus rêvent souvent qu’ils se réveillent dans leur maison. Les premiers jours, beaucoup témoignent de cette difficulté à accepter le décor carcéral dans leurs rêves. Car dans leur monde onirique, ils sont toujours chez eux. Cela fait d’ailleurs partie de la souffrance de l’incarcération. Certains peuvent même ne jamais intégrer ce nouveau décor et continuer de rêver du dehors, alors que la plupart voient leurs rêves colonisés progressivement par le petit monde clos de la détention. 

C.H : En ce qui me concerne, j’ai l’impression que mes rêves de l’époque avaient intégré cette nouvelle réalité en moins d’une semaine. Le deuxième rêve auquel je pensais a eu lieu la première nuit du retour. D’ailleurs, lui aussi portait sur les effets de la microgravité. Revenir d’un vol spatial implique des modifications physiologiques. C’est pour ça qu’on vous barde de capteurs à votre retour. Vous vous retrouvez avec des sondes et des électrodes qui mesurent tout ce qui se passe en vous. Je retiendrai cette première nuit de retour sur Terre comme une succession de cauchemars, alors que j’étais engoncée dans ce lit avec tous ces câbles.

Il faut aussi garder en tête qu’au même moment, je devais me réhabituer à vivre avec la gravité. Mon corps me semblait si lourd dans ce lit… Je me souviens que ça me réveillait constamment. Ma tête pesait lourd, mon corps pesait lourd, les objets autour de moi pesaient lourd : tout cela me semblait si étrange à mon retour. Cette nuit-là, je ne savais pas si je m’étais réveillée dans un cauchemar ou dans la réalité. Tous mes capteurs et éléments d’ingénierie médicale à proximité s’étaient mis à voler autour de moi. Je sentais flotter le système d’électrocardiogramme, ainsi que tous ces fils, tout en me sentant incroyablement lourde.

Le rêve devait probablement traduire ma réappropriation progressive de la pesanteur, et surtout cette dualité entre mon corps et mon esprit – avec ce dernier qui considérait encore les éléments extérieurs dans un contexte de microgravité.

L.H : Ces deux rêves soulèvent des questions vertigineuses du point de vue de la constitution de la vie onirique. Et dans un autre registre, je ne peux pas m’empêcher de vous demander : peut-on avoir le vertige depuis l’espace ?

C.H : Dans sa composante physiologique et médicale, le “mal de l’espace” est une réalité. En ce qui me concerne, je n’y ai pas été sensible. Reste qu’il y a des astronautes qui ne sentent pas bien pendant leurs trois-quatre premiers jours de vol. Quand on est en microgravité, notre système vestibulaire ne fonctionne pas comme sur Terre, où l’on dépend du système des otolithes – qui sont des capteurs de gravité.

Or là-haut, il n’y a pas de gravité. Et donc les systèmes ne sont pas tous connectés. Dans le système vestibulaire par exemple, le liquide ne circule pas pareil dans les canaux semi-circulaires lorsque l’on se retrouve dans un contexte de microgravité – ce qui, évidemment, peut être très perturbant. Enfin, il y a cette forme de vertige que vous éprouvez quand vous regardez la Terre par le hublot et que vous en faites le tour en 90 minutes.

L.H : À noter que c’est le temps nécessaire pour entrer en sommeil paradoxal.

C.H : C’est surtout le temps mathématique d’une orbite terrestre en orbite basse à 400 km. Pendant tout le séjour, on se sent dans un état onirique – que le manque de sommeil a tendance à accentuer. Votre corps ne pèse plus rien, vous regardez la planète et l’espace par le hublot, vous avez vraiment l’impression d’avoir cette capacité de sortir de votre enveloppe charnelle, de n’être qu’un regard délivré de la pesanteur du corps. Vous découvrez la globalité et la finitude de la planète, qui se présente comme un vaisseau spatial transportant l’humanité dans l’infini. Et vous, vous n’êtes qu’un regard sorti de votre corps. Émerveillé et fasciné.

François Jacob, prix Nobel de médecine en 1965, avait conceptualisé ce qu’il appelait la science de jour – par opposition à la science de nuit. La science de jour, c’est lorsque vous êtes confronté à un problème de recherche, que vous ne trouvez pas la solution malgré tous vos efforts, et que ça vous remplit l’esprit. Sauf que la nuit vous vous endormez, ce qui peut vous aider à adopter une vision plus large du problème. Vous voyez des détails, des paramètres que vous n’aviez pas pris en considération pendant le temps d’éveil. C’est la fameuse science de nuit : cette émergence inattendue d’une solution révélée, masquée par le poids des contraintes, comme s’il y avait là-aussi une forme de pesanteur dans le questionnement.

L.H : J’ai avec moi un petit bouquin, La psychologie et le cosmos, des Éditions de Moscou, écrit par Youri Gagarine et Vladimir Lebedev, et publié en 1969. C’est un drôle de livre sur la psychologie, avec de nombreuses photos et dessins. Ce n’est pas de la psychologie psychanalytique, mais plutôt physiologique. C’est un document fascinant qui dresse le portrait d’une autre culture scientifique, avec en toile de fond cette course qui animait les deux camps en pleine Guerre Froide. Les auteurs racontent que face à cette question de la gravité, on recourt principalement au sens de la vue pour se repérer en situation d’apesanteur [1]. 

C.H : En microgravité, le système vestibulaire étant déconnecté ou défaillant, il faut se raccrocher à des sens visuels, ainsi qu’à ce qui relève du toucher. Il y a donc cet aspect progressif de réorganisation des sens et des actions motrices. On parle de proprioception pour décrire cette sensibilité profonde qui réfère à la conscience de la position des membres, puis le toucher et la vision. Ce sont les trois systèmes de sensation que vous utilisez dans l’espace.

L.H : Cette émancipation du corps et des pesanteurs auxquelles il est soumis rejoint le motif d’un des rêves humains les plus courants : voler. Vivre cette expérience de vol dans l’espace doit mettre l’esprit dans un état psychique unique. Ceci dit, ça m’évoque aussi la mythologie du ciel, qui pendant des millénaires, a représenté la mort. Reste que quand on a des boulons à serrer (oui, même dans l’espace), j’imagine que les mythes sont vite repoussés. Mais entre la mythologie du ciel et le fait de franchir cette limite symbolique, entre découvrir que ce ne sont pas les Limbes et faire l’expérience de l’émancipation des pesanteurs du corps, ou encore ce retour sur Terre aux airs de cauchemar pour le corps qui se retrouve soumis à la pesanteur… Ce doit être une expérience qui renvoie très loin dans la mémoire de l’espèce. Alors je me demandais, avez-vous fait un lien entre tout cela et les réflexions que l’on peut avoir sur la mort et l’au-delà, dont on repousse les limites en allant dans l’espace ?

C.H : Ce n’est pas dans mes préoccupations. En revanche, ce que vous dites sur la mythologie rejoint la question de l’imaginaire évoquée au tout début de notre échange [cf. 1ère partie]. Dans ma vie, j’ai lu de nombreux textes sur les mythes et les légendes. Cela vaut aussi bien pour les récits des pays nordiques que pour ceux de la Grèce ou de la Rome antique, en passant par l’Amérique Latine. Quand j’étais petite, c’étaient mes lectures nourricières. D’ailleurs, les missions spatiales auxquelles j’ai participé se nommaient Cassiopée [pour la première] et Andromède [pour la seconde]. Quant à mon mari, astronaute lui aussi, sa mission s’appelait Perseus.

L.H : Maintenant que j’y pense, le premier rêve que vous avez cité me rappelle une nouvelle d’un auteur de science-fiction, J. G. Ballard. Dans cette histoire, des astronautes arrivent sur une station déserte qu’ils pensent toute petite. Ils commencent à explorer l’endroit et découvrent que la station s’étend, puis devient très vaste. Et pour cause : plus ils marchent, plus les limites du lieu sont repoussées. Ce que raconte votre premier rêve renvoie à une espèce de motif dont la fiction a pu avoir l’intuition. Je pense notamment au fait de se sentir à l’étroit sur Terre, de voir la gravité comme une contrainte dont il serait possible de s’émanciper. Ce motif-là signifierait-il l’intégration très profonde en nous de cette conscience que l’univers est en expansion ? L’expérience de la microgravité doit très probablement avoir un effet très profond sur la psyché humaine. Après tout, cela remet en question toutes les variables liées à la pesanteur du corps. Dans le cas de séjours plus prolongés, j’imagine qu’on devrait pouvoir observer des sensations, des pensées, des expériences intérieures étonnantes. Je pense notamment à Christina Koch, qui a passé en tout presque un an dans l’espace avec la NASA. Mais à son retour, a-t-elle pu perdre quelque chose au niveau de ses fonctions « terrestres » ?

C.H : Dans ce cas spécifique, la réadaptation est plus longue que pour une mission de courte durée. À savoir que pendant un vol, on applique quotidiennement des contre-mesures pour éviter une désadaptation ou un déconditionnement trop important. Les astronautes à bord font deux heures d’exercice physique par jour pour stimuler la proprioception, la tonification musculaire et la densité osseuse. Sans cela, on perd 1 % de sa masse osseuse tous les mois – ce qui est très dangereux.

Au retour, il faut se réhabituer sur le plan sensoriel, cognitif, et bien sûr à la gravité. Il faut donc reprendre petit à petit ses forces musculaires, ainsi que sa densité osseuse. Ce qui est très intéressant sur le plan médical au sujet des symptômes d’adaptation du corps humain à la microgravité, c’est qu’on constate une succession de phénomènes adaptatifs.

Sur le volet cognitif, on assiste à un bouleversement du postural, du contrôle du mouvement, ainsi que de ses références à des données en trois dimensions. Il y a également une adaptation cardio-vasculaire et métabolique qui s’opère du fait de la disparition du gradient de pression hydrostatique.

Après quelques semaines de vol, on observe un état de relaxation intense des muscles de son corps. Et pour cause : ces derniers se retrouvent soudainement libérés de la contrainte gravitaire. Le revers de la médaille, c’est qu’il peut se produire une atrophie musculaire et une fragilité osseuse par déminéralisation, ainsi que, potentiellement, un vrai déficit immunitaire. Cela est dû au fait de vivre dans un environnement confiné et de ne pas avoir de stimulation immunitaire aussi forte que dans un environnement ouvert.

Ces symptômes, au nombre de six, sont ceux du vieillissement. Quand on prend de l’âge, on voit nos capacités cognitives s’éroder, en plus de subir des troubles cardiovasculaires. On voit aussi notre masse musculaire, notre trophicité osseuse et notre système immunitaire s’affaiblir. Ce qui intéresse les chercheurs aujourd’hui, c’est de se dire qu’ils ont là un modèle de vieillissement accéléré sur cinq ou six mois. Sauf que celui-ci est réversible.

Car au retour d’un vol dans l’espace, on récupère quantitativement, c’est-à-dire qu’on retrouve le même pourcentage de masse osseuse et le volume musculaire perdu. Reste que qualitativement, on n’est pas sûr à 100% de récupérer exactement ce qu’on avait avant. Par exemple, un os va reprendre sa masse à l’extérieur (aussi appelée “os cortical”). Mais à l’intérieur, c’est un os trabéculaire, constitué de petites travées, dans lequel il y a les cellules qui fabriquent le sang et la moelle. Or, cet os trabéculaire ne se reformera pas exactement comme il était avant le décollage.

Ce sont donc plein de sujets passionnants pour la recherche. Et tout cela devrait continuer de s’accélérer de façon exponentielle. Entre la recherche que j’ai connue au XXᵉ siècle et ce qu’on fait aujourd’hui, il y a déjà tout un monde. À mon époque, on devait se contenter de descriptions sur nos conditions d’adaptation en station spatiale. Aujourd’hui, on est capables de faire du séquençage d’ADN à bord, du diagnostic in situ. On le fait sur des échantillons, on teste sur place, et on peut agir immédiatement. 

Car cette perte de masse osseuse et musculaire, ainsi que ces troubles cognitifs ou de réadaptation à la gravité, on sait maintenant les gérer sur des vols de six à douze mois. Au-delà de cette période, on manque encore d’expérience sur le sujet. C’est d’ailleurs un enjeu majeur pour les vols dans l’espace lointain (deep space), dont les vols martiens à venir – qui devraient prendre plus d’un an. À ces problèmes physiologiques s’ajouteront également des problèmes psychologiques individuels et collectifs, la gestion des décisions autonomes, l’interaction avec les assistances robotiques et intelligences artificielles, ainsi que le problème de l’exposition aux radiations. Oui, ça fait beaucoup de choses à gérer !

Suite et fin dans l’épisode 3…

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Annexes : 

[1] La psychologie et le cosmos, par Youri Gagarine et Vladimir Lebedev, page 89 : 

« L’attraction terrestre a joué un certain rôle non seulement dans la formation du squelette et des muscles des êtres vivants, mais aussi dans le développement de ce qu’on peut appeler le sens « musculo-articulaire » (sensibilité proprioceptive). Ainsi que l’a montré I. Setchenov, l’exécution, les yeux fermés, de tout mouvement strictement orienté serait impossible n’étaient les sensations musculo-articulaires ou, pour parler le langage de la cybernétique, en l’absence de liaison en retour. L’information en provenance de l’appareil musculo-articulaire permet à l’homme de se rendre compte de sa position par rapport au plan de la Terre.

Le toucher fournit également des renseignements appréciables. En position verticale, les signaux correspondant viennent de l’épiderme plantaire, en position horizontale de l’épiderme dorsal, etc.

Servent également d’indicateurs de la direction de la gravité les récepteurs situés dans les parois des vaisseaux sanguins et sensibles aux variations de la pression sanguine. Si l’on se tient debout, par exemple, le sang, qui a tendance à descendre, exerce une forte pression sur les parois des vaisseaux sanguins des membres inférieurs, ce dont le cerveau est aussitôt informé par des messages appropriés.

En apesanteur, la vision est seule à fournir des renseignements complets et précis sur la position du corps dans l’espace. Cela se comprend : alors que tous les autres récepteurs se sont formés sous l’influence exclusive des facteurs terrestres, la vue, elle, s’est développée sous l’influence du cosmos. Vavilov qualifiait de façon imagée l’œil d’organe « solaire », en ce sens qu’il a été créé, entre autres, par l’adaptation de l’organisme aux rayons lumineux, vitaux pour lui, provenant du cosmos. Ce furent justement les sensations et perceptions visuelles qui servirent de fondement aux théories relatives à l’étude des espaces cosmiques, et cela bien avant les vols spatiaux.

On comprend pourquoi, quand ils fermaient les yeux, les cosmonautes n’arrivaient pas à se représenter correctement la position de l’avion : en apesanteur, l’appareil otolithique cessait complètement de fournir les renseignements nécessaires, ou bien, ce qui était pire, envoyait au cerveau des indications erronées, donnant ainsi naissance à des illusions spatiales. »

[2] Rapports sur une station spatiale non identifiée, dans Fièvre guerrière, par JG Ballard :

« La station est en fait une structure en expansion dont les dimensions semblent croître de façon exponentielle. Plus long est le voyage entrepris par un passager, plus grande est la distance incrémentielle qu’il devra parcourir. L’étendue pratiquement illimitée des installations de la station suggère que ses hôtes s’étaient embarqués dans des voyages extrêmement longs, voire infinis.

Il va sans dire que l’architecture complexe de la station a pour nous des implications inquiétantes. Nous avons compris que les dimensions de la station sont fonction non du nombre de passagers embarqués – bien qu’il ait dû être considérable – mais de la longueur des voyages entrepris à son bord. De fait, il ne devrait y avoir idéalement qu’un seul passager. Un voyageur solitaire embarqué pour une traversée infinie exigerait une infinité de salons de correspondance. »